"Si je dois parler de la Chine valablement, équitablement et non de façon fragmentaire ou déformée, il faut que je décrive ma famille et sa façon de vivre, de penser, de manger, de s'amuser, de faire face au désastre. Car, dans mon pays, c'est tout cela qui constitue le thème de l'existence.

J'avais été trop longtemps á la dérive. Je me croyais unique et me suffisant á moi-même. Il fallait que je vienne dans le Ssetchouan pour apprendre que je suis "moi", uniquement parce que je fais partie de la Grande Famille. "Il est normal que tu écrives admirablement avec le pinceau, me disent-ils, sans s'étonner de ce talent. Ton premier oncle était un érudit du second degré et ton grand-père direct un calligraphe célèbre:" Pendant qu je m'incline devant le portrait de ma grand-mère, je découvre que je tiens d'elle l'arc de mes sourcils et je retrouve mon propre sourire sur les lèvres d'une petite cousine. Ainsi, je ne suis plus ni fière ni détachée, car je sais que, séparée de la racine et de la tige qui l'ont produite, ma vie est incomplète.

La nomenclature même de la parenté reflète le sens chinois de la solidarité familiale. Les enfants de vos frères - soit vos cousins germains - sont considérés comme vos frères et sœurs. A partir du premier-né, on les numérote dans l'ordre comme "les fils et les filles de la famille", sans s'occuper de leurs pères individuels."

Han Suyin, Destination Tchoungking, Stock 1962

family